Un Nobel, une bulle, mille stablecoins

CETTE SEMAINE DANS L'IA ET LA FINANCE • Webinaire : qu'en sera-t-il de la bulle IA ? • Dix grandes banques mondiales s'allient pour un stablecoin multidevises • Le stress-test de l'euro numérique • La réelle maturité de la tokenisation • Nouriel Roubini sur la monnaie numérique • Bienvenue dans Qant Finance, le 14 octobre 2025.

QANT FINANCE
20 min ⋅ 15/10/2025

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande »Paul Virilio

Que ce Nobel du moins montre à jamais sa borne…

Chère lectrice, cher lecteur,

Lundi, Philippe Aghion est devenu le cinquième économiste français à recevoir le prix Nobel et le cinquième prix Nobel relié à l’intelligence artificielle : il y a quinze mois, il venait illustrer aux abonnés de Qant son analyse de l’impact de l’IA, après avoir coprésidé la commission qui a posé les bases du Sommet de l’IA de l’an dernier ; cet hiver, il partageait avec le Cercle IA et Finance son analyse sur le déploiement en cours de l’IA.

Philippe Aghion devant les abonnés de Qant en juillet 2024

Ce grand théoricien de la croissance reçoit le prix au moment où les nuages s’accumulent. Les inquiétudes sur la bulle de l’IA sont proches du paroxysme, et son explosion pourrait avoir des conséquences destructrices sur l’ensemble de l’économie mondiale. Tout comme le 11 septembre a aggravé l’explosion de la bulle Internet, les conséquences de la politique douanière américaine rendront plus douloureuses les conséquences du retournement des marchés.

Les illustrations de Qant, cette semaine, rendent hommage à Giorgio De Chirico (1888-1978), « peintre métaphysique »

En 2000, les investissements américains dans l’innovation ont vite repris leur rythme. Les Européens, au contraire, ont profité du changement de climat pour enterrer l’économie numérique et reprendre leurs habitudes surannées. Nous en payons encore les conséquences, en termes de croissance et de productivité. Il faudra, le moment venu, savoir regarder au-delà de la crise financière à venir, vers les véritables « noirs vols du blasphème épars dans le futur », pour reprendre le vers de Mallarmé.

Il ne sera pas trop de la voix de Philippe Aghion pour que l’Europe, cette fois, ne perde pas de vue l’essentiel.

Jean Rognetta, Qant…
sera heureux de tous vos commentaires

Webinaire : quand la bulle IA menace d’exploser

Les valorisations liées à l’IA évoquent le pic de la bulle Internet et les alertes se multiplient. L’euphorie financière portée par l’IA peut se retourner d’un moment à l’autre. Cumulé aux politiques économiques de Trump, cela fait peser un risque grave sur l’économie mondiale. Qant et le Cercle OA et Finance vous proposent un webinaire le 6 novembre à 18 heures. 

  • Turbulences. La directrice générale du FMI Kristalina Georgieva a expliqué la semaine dernière, lors des rencontres annuelles entre le FMI et la Banque mondiale, pourquoi l’or, valeur refuge par excellence, vient de passer les 4 000 dollars l’once – plus haut que jamais, en termes réels, y compris 1980, le point culminant après que Nixon ait révoqué l’étalon-or. Or, l’optimisme sur la hausse de productivité grâce à l’IA a enflammé les marchés d’actions, publics et privés. Les valorisations se rapprochent des niveaux de 2000, mais les marchés peuvent se retourner abruptement. Kristalina Georgieva prévient : « Attachez vos ceintures : l’incertitude (...) est faite pour durer »

Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, et Michael Milken • Source : FMI

  • Tocsin • Dans son rapport de stabilité financière d’octobre, la Banque d’Angleterre (BOE) va bien plus loin. Elle juge bien trop tendues les valorisations sur les marchés, surtout pour les entreprises tech et IA, et souligne une hausse du risque de correction brutale. Elle rappelle en outre que les doutes sur l’indépendance de la Fed accroissent la vulnérabilité des marchés. 

  • Dépendances en chaîne • La bulle IA ne concerne pas que les actions. Elle génère également des dettes d’infrastructures, pour la construction des data centers, et elle met sous tension les marchés de l’énergie. Bain & Company estime qu’il faudra 500 milliards de dollars d’investissements annuels d’ici 2030 pour financer les besoins de calcul d’IA et les 100 GW de puissance électrique supplémentaires qu’ils nécessitent. Vendredi, le Financial Times estimait que la seule OpenAI, valorisée à 500 Mds $ (35 fois son chiffre d’affaires), se trouve au centre d’investissements et d’accords commerciaux croisés pour 1 000 milliards. Dans certains segments de finance de marché, comme le crédit privé et les ETF thématiques, des flux procycliques amplifient le mouvement. 

  • L’agent orange • Londres dénonce la remise en cause de l’indépendance de la Fed entreprise par Donald Trump. Si elle arrive à bon port, elle déclencherait un « re‑pricing » des actifs en dollars, y compris les Treasuries, avec des effets de contagion sur les coûts d’emprunt au Royaume‑Uni – et ailleurs. Les rendements sont en effet étroitement corrélés ; une baisse des obligations américaines renchérit la dette publique britannique. Or, une seule séance de stress sur les taux longs peut suffire à casser les multiples des valeurs IA – les cash‑flows lointains sont les premiers à souffrir quand la duration remonte.

  • EN FILIGRANE : Les sept mousquetaires... La concentration de la valeur sur les marchés financiers américains atteint un record. Près de 30 % de la capitalisation du S&P 500 provient de ses cinq plus grosses valeurs et les Magnificent Seven (Nvidia, Microsoft, Apple, Alphabet, Amazon,  Meta, Tesla) atteignent les 35%. Cela rend les indices particulièrement fragiles.

  • À SURVEILLER : … Les diamants de l’IA. La saison des résultats s’ouvre cette semaine. Un trimestre décevant chez les poids lourds – croissance moins rapide du cloud/IA, marges comprimées… – peut suffire à déclencher un « re‑rating violent » via les ETF et la gestion indicielle. En outre, si l’investissement ralentit avant que le chiffre d’affaires ne prenne le relais, la chaîne se grippe : moins de commandes d’infrastructure, marges sous pression, révisions de croissance… et coup de froid sur les multiples. Pour faire bon poids, la répercussion des coûts des tarifs douaniers (« price passthrough ») finira sans doute tôt ou tard par raviver l’inflation aux États-Unis, forçant des conditions financières plus strictes et rognant la croissance. Dans un tel scénario, la prime de risque remonte, les valorisations se compriment et l’appétit pour les paris IA se calme instantanément. Avant même, peut-être, que Trump n’ait réussi à casser l’indépendance de la Fed.

  • RENDEZ-VOUS : le jeudi 6 novembre à 18h, Qant et le Cercle IA et Finance vous proposent un webinaire sur la bulle IA. Accès gratuit pour les abonnés à Qant et les membres du Cercle.

Tokenisation

  • Des smart contracts aux stablecoinsRetrouvez dans l’édition premium ci-dessous notre dossier sur la maturité de la tokenisation, basé sur la conférence du 25 septembre à La Place, organisée par le Pôle Finance et Innovation et l’Acoss

Vers un stablecoin bancaire multidevises

Un consortium de géants bancaires internationaux prépare l’émission de stablecoins indexés 1:1 sur les devises du G7.

  • Le grand bain • Dix grandes banquesBNP Paribas, Deutsche Bank, Santander, UBS et Barclays, pour l’Europe, MUFG au Japon, la canadienne TD Bank et les américaines Bank of America, Citi et Goldman Sachs – viennent de présenter un projet commun d’émission de stablecoins adossés aux devises du G7. 

  • Sous le capot • L’objectif : créer un actif numérique stable et solide, utilisable sur des blockchains publiques. Le projet couvre toutes les devises du G7 : dollar américain, euro, yen, livre sterling, franc suisse, dollar canadien et dollar australien. L’initiative offrira une alternative aux stablecoins actuels (principalement Tether), en réintégrant les flux de paiements dans des canaux régulés, transparents et conformes aux standards bancaires et aux exigences réglementaires.

  • EN FILIGRANE : Finance internationale.  Bloomberg Intelligence estime que les paiements annuels en stablecoins pourraient atteindre 50 000 milliards de dollars d’ici 2030. Selon Standard Chartered, l’adoption des stablecoins pourrait siphonner jusqu’à 1 000 milliards de dollars des banques des pays émergents d’ici 2028. Les jetons comme l’USDT de Tether (179 Md$ en circulation) sont en effet de plus en plus utilisés comme substituts au dollar dans les économies inflationnistes. L’arrivée de jetons plus solides, émis par des banques commerciales à grande échelle, ne ferait qu’accélérer le phénomène.

  • À SURVEILLER : Les tensions réglementaires • La BCE et la Banque d’Angleterre redoutent une perte de contrôle sur la politique monétaire et un effet de désintermédiation bancaire massif en cas de ruée sur les réserves de stablecoins. Ce risque semble particulièrement élevé en cas de « multi‑émission », où les jetons d’un émetteur multinational sont interchangeables, qu’ils soient émis en zone euro ou non – ce qui est le cas de Circle, comme celui du futur stablecoin du consortium. La Commission européenne a répliqué vendredi que le règlement Mica est suffisant pour encadrer ces risques. Elle prépare des clarifications sur la « multi‑émission » en réponse à une lettre envoyée mardi par Circle et diverses associations crypto.

Bank of America • Bank of North Dakota • Conseil de stabilité financière • Reserve Bank of India

  • Réguler l’IA dans la finance • Le Conseil de Stabilité Financière (FSB, d’après l’acronyme anglais), qui réunit les régulateurs du G20, a publié la semaine dernière son quatrième rapport appelant à renforcer le suivi de l’adoption de l’IA dans le secteur financier. Il identifie des indicateurs – directs et indirects – pour aider les autorités à mieux surveiller l’essor de l’IA et les vulnérabilités associées dans le système financier. Il souligne que si les superviseurs ont progressé dans la compréhension des cas d’usage de l’IA, leurs efforts de monitoring restent à un stade précoce. Le FSB met en avant les défis à relever, notamment les lacunes de données et l’absence de taxinomies normalisées, qui compliquent le suivi transversal d’une institution à l’autre. Le rapport inclut aussi une étude de cas sur la dépendance croissante des institutions financières à l’égard de quelques fournisseurs critiques d’IA, un risque en termes de concentration et de difficulté de remplacement en cas de défaillance. Ces recommandations incitent les superviseurs à intensifier la collecte d’informations et la coopération internationale – un préalable à un éventuel cadre réglementaire plus formel.

  • Bank of IA-merica • La banque américaine Bank of America (BofA) a lancé un agent conversationnel interne à base d’IA générative pour son activité de paiements aux entreprises. Baptisé AskGPS, cet assistant intelligent, déployé fin septembre, a été entraîné sur plus de 3 200 documents internes (guides produits, fiches techniques, FAQ…) afin de fournir des réponses sur mesure aux questions des 40 000 clients de la division Global Payment Solutions. Avant l’IA générative, obtenir ce type d’information pouvait prendre jusqu’à une heure de recherches. Conçu en interne, l’outil peut interagir en 29 langues et facilite l’onboarding des nouveaux employés en leur servant de référence instantanée sur le jargon et les offres de la banque. BofA, a déposé plus de 1 200 brevets liés à l’IA.

  • Un deuxième stablecoin d’État aux États-Unis • La Bank of North Dakota – seule banque détenue par un État aux États-Unis – a lancé le 9 octobre dernier la monnaie numérique « Roughrider », un stablecoin indexé sur le dollar US, réservé aux transferts interbancaires. Baptisée d’après le régiment de cavalerie du président Theodore Roosevelt, le jeton vise à accélérer les règlements entre banques locales (de quelques jours à quelques minutes) et à en réduire les coûts. Techniquement, Roughrider s’appuie sur une solution de stablecoin fournie par la fintech Fiserv (sous le nom FIUSD) et il est entièrement adossé à des dépôts en dollars garantis. À la différence du Wyoming (premier État ayant émis sa propre crypto d’État en août), le Dakota du Nord limite d’abord Roughrider aux usages interbancaires pour en tester la fiabilité. 

  • L’Inde accélère sur la tokenisation et le e-rupee • La Reserve Bank of India (RBI) a ouvert un « bac à sable » réglementaire dédié à sa roupie numérique de détail (e-rupee), afin de permettre à des fintechs de développer et tester de nouveaux cas d’usage autour de cette MNBC en pilote depuis fin 2022 . En parallèle, la banque centrale a annoncé le lancement d’un projet pilote de tokenisation des certificats de dépôt (CD) – des titres de dette bancaire à court terme – en s’appuyant sur la version de gros de sa MNBC comme infrastructure de règlement. Concrètement, l’objectif est de créer des représentations numériques de ces dépôts à terme sur blockchain, ce qui pourrait rendre leur négociation plus rapide, moins coûteuse et plus sûre. La RBI travaille avec quelques banques sur ce prototype, et elle compte ensuite étendre l’expérimentation à d’autres instruments monétaires du marché interbancaire (tels que les billets de trésorerie commerciaux). Reste à garantir l’intégrité juridique et la solidité de ces actifs tokenisés. La roupie numérique compte déjà 7 millions d’utilisateurs dans le cadre du pilote en cours.

Réduire ou non l’euro numérique aux pièces jaunes

Une étude de la BCE montre qu’en cas de panique bancaire, jusqu’à 700 milliards d’euros de dépôts à vue pourraient fuir vers un euro numérique garanti par la banque centrale, soit 8,2 % des dépôts de détail. L’institution juge ce scénario hautement improbable, elle mais s’en sert pour calibrer des garde-fous.

  • Crise • Un euro numérique pourrait provoquer une fuite de dépôts bancaires jusqu’à 700 milliards d’euros en cas de crise, alerte la Banque centrale européenne. D’après une simulation demandée par les co-législateurs de l’Union, jusqu’à 8% des dépôts à vue de la zone euro pourraient se vider si, en période de panique bancaire, les épargnants transféraient massivement leurs avoirs vers un euro numérique garanti par la BCE. Dans cette extrémité, jusqu’à 13 établissements se retrouveraient au seuil de liquidité réglementaire, signalant une tension de court terme. 

  • L’euro des deux mondes • L’étude couvre 2 025 banques de la zone euro. Elle teste deux mondes : un « business as usual » et une ruée vers la sécurité où chaque épargnant remplit au maximum son portefeuille de monnaie banque centrale. En régime « normal », avec un plafond à 3 000 €, les sorties de dépôts restent d’environ 100 Md€ au total. Mieux : la digitalisation des paiements continuerait de ramener des dépôts aux banques (estimés à plus de 127 Md€ d’ici 2034), ce qui compense les flux vers l’euro numérique. 

  • Paliers • La BCE a simulé des limites de détention de 500 €, 1 000 €, 2 000 € et 3 000 €. À 500 €, la fuite maximale tombe à 156 Md€ ; à 3 000 €, elle atteint 699 Md€. Conclusion de Francfort : les plafonds de détention contiennent efficacement les sorties et protègent la stabilité financière… à l’inverse d’autres actifs numériques non plafonnés, comme les stablecoins.
    Inégalité •
    Les banques de détail et les « small market lenders » sont les plus exposées aux retraits relatifs, selon la ventilation par modèles d’affaires. Ces profils ont des coussins de liquidité plus fins, d’où une sensibilité accrue au calibrage du plafond. 

« À l’ère digitale, les bank runs vont plus vite et plus fort » • Le député européen Markus Ferber plaide pour la prudence pour ne pas fragiliser les petites banques. (Reuters)

  • EN FILIGRANE : L’apocalypse peut attendre. Même à 8,2 % des dépôts à vue, on reste loin de crises réelles. Chypre en  2013 a dépassé les ‑20 %, la Grèce en 2015 était à ‑25,9 %. Ce stress‑test de la BCE, qui a été demandé par les co‑législateurs, n’intègre pas la réaction de politique monétaire que déclencherait une vraie crise. 

  • À SURVEILLER : Les réglages fins. Confrontée au lobbying des banques (notamment françaises), la BCE insiste : en période de stress, elle dispose d’outils pour stabiliser la liquidité. L’exercice ne doit donc servir qu’à calibrer l’euro numérique (plafonds, frictions) pour prévenir la désintermédiation, surtout face à des stablecoins dollars qui, eux, n’ont pas de limite de détention. Maligne, elle rappelle que la demande pour un euro numérique non rémunéré baisse quand les dépôts bancaires sont bien payés, et que cela forme une élément clé pour la stabilité.

ACPR • Eurogroupe • Standard Chartered • Testamento

  • L’ACPR surveillera l’IA dans les banques • François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France et président de l’ACPR, a profité du Forum Fintech à Paris, la semaine dernière, pour annoncer le renforcement de l’encadrement des innovations financières. L’ACPR s’est dotée début octobre d’une nouvelle Direction de l’Innovation, des Données et des Risques Technologiques, réunissant ses équipes dédiées à l’innovation et celles supervisant l’IA et la cybersécurité. Ce rapprochement vise à conjuguer développement technologique et régulation, sur fond d’essor rapide de la fintech et de l’IA. En pratique, cette initiative devrait permettre un suivi plus proactif des usages de l’IA dans la banque et l’assurance tout en soutenant les fintech innovantes. Le gouverneur a souligné que des secteurs stratégiques comme l’intelligence artificielle sont clés pour la souveraineté économique et financière de l’Europe, appelant à mobiliser davantage de financements dans ces domaines.

  • L’Eurogroupe veut des stablecoins euro • L’inquiétude des régulateurs gagne les ministres des Finances de la zone euro, qui ont inscrit à l’agenda européen, la semaine dernière, le soutien au développement de stablecoins en euro par des émetteurs européens. L’essor attendu des stablecoins dans la finance américaine pourrait provoquer une dollarisation de l’économie européenne. En facilitant des alternatives numériques en euro, l’Europe espère offrir aux entreprises et aux citoyens des moyens de paiement tokenisés innovants sans abandonner le contrôle de sa monnaie.

  • L’IA qui lisait les contrats d’assurance-vie • La fintech française Testamento a présenté au congrès Reavie à Cannes sa nouvelle solution d’IA Deep Vision pour fiabiliser les clauses bénéficiaires en assurance-vie. Ce dispositif, qui sera adopté notamment par les équipes de Deloitte, automatise en quatre étapes la vérification des clauses : numérisation des textes (y compris manuscrits), analyse via reconnaissance optique et intelligence artificielle pour détecter incohérences ou erreurs, scoring du niveau de risque, et restitution d’un rapport avec indicateurs et recommandations. Les assureurs peuvent ainsi identifier et corriger proactivement les anomalies, soit lors d’entretiens avec les assurés, soit via un parcours digital sécurisé intégré à leur espace client, afin d’améliorer la conformité des contrats. L’objectif est de réduire les risques juridiques liés à des clauses mal formulées tout en allégeant la gestion opérationnelle. Cette innovation s’inscrit dans la digitalisation de la conformité et illustre comment l’IA peut fiabiliser des processus complexes dans l’assurance, en libérant du temps aux conseillers et en renforçant la confiance des assurés.

  • L’IA favorise les places de marché de compétences internes • Standard Chartered met en place depuis 2020 un « talent marketplace » interne, où les employés peuvent candidater à des missions ponctuelles (gigs) au‑delà de leur fonction principale.  Environ 60 % des collaborateurs dans le monde utilisent cette plateforme, consacrant jusqu’à huit heures par semaine à ces missions, et l’initiative a déjà généré 8,5 millions de dollars de « valeur » en optimisant la réallocation des compétences internes.  Le système repose sur un « passeport de compétences » pour faire correspondre les profils aux projets internes.  L’approche vise à déplacer le paradigme du poste unique vers celui d’individu aux compétences multiples, facilitant le déploiement de l’IA en interne et réduisant le besoin de recrutement externe dans un contexte de rareté de talents technologiques. Plusieurs entreprises, dont Moderna, reconfigurent déjà leurs équipes selon les capacités humaines et l’apport de l’IA – le modèle de marketplace interne gagne ainsi en traction comme outil de mobilité, de fidélisation et d’agilité organisationnelle. 


EN EXCLUSIVITÉ POUR LES ABONNÉS :

• Tokenisation • À mesure que les États-Unis accélèrent, les banques européennes affinent leurs expérimentations. Stablecoins, fonds monétaires et dépôts tokenisés se multiplient, mais la finance traditionnelle avance avec prudence. Entre promesses de règlements instantanés et défis réglementaires, l’Europe s’interroge encore sur le rythme de sa bascule.

• Monnaie numérique • Derrière la frénésie technologique, la monnaie reste une affaire d’État. Des stablecoins américains aux MNBC européennes et à l’e-CNY chinois, les nouvelles formes de paiement redessinent les équilibres géopolitiques sans bouleverser l’ordre monétaire. L’argent, plus que jamais, demeure un instrument de souveraineté.

La blokchain a-t-elle vraiment rendez-vous avec 2026 ?

L’adoption de la tokenisation et des registres distribués a été jusqu'ici plus que prudente. Malgré les bruits enthousiastes qui viennent de New York, on reste à Paris très mesuré sur l’adoption de masse de la technologie dès l’an prochain.

« Chaque action, chaque obligation, chaque fonds – chaque actif – peut être tokenisé. S’ils le sont, cela révolutionnera l’investissement (...) Les fonds tokenisés peuvent devenir aussi courants que les ETF »   Larry Fink, CEO de BlackRock

La prédiction était ambitieuse. En début d’année, dans sa lettre annuelle aux actionnaires de BlackRock, Larry Fink plaçait la tokenisation au cœur de l’avenir de la finance mondiale. En transformant des actifs réels (actions, obligations, immobilier, etc.) en jetons (tokens) sur une blockchain, la tokenisation promet des transactions instantanées, des marchés ouverts en continu et une démocratisation de l’investissement. Cette vision n’est pas nouvelle : depuis dix ans, professionnels de la finance et de la tech s’efforcent de passer de la vision à la réalité. Pour juger de sa maturité, le Pôle Finance Innovation, l’Acoss et Qant ont donné rendez-vous, fin septembre, à la finance et la tech parisienne.

Revoir l’événement du 25 septembre

La tokenisation forme la dernière étape de la numérisation des titres financiers. Concrètement, il s’agit d’enregistrer la propriété d’un actif sous forme de jeton sur un registre distribué (DLT), au lieu d’un certificat papier ou d’une inscription en compte classique. Cette conversion en actif numérique permet ensuite d’échanger l’actif plus facilement, de fractionner sa valeur et d’automatiser certaines opérations grâce à des smart contracts.

Tokens et bons comptes chez les grandes banques 

Depuis quelques années, diverses initiatives pilotes voient le jour en France. Dès 2018, la Société Générale a créé par intrapreneuriat une filiale dédiée, SG Forge, exclusivement dédiée aux actifs numériques et à la blockchain. Elle a notamment lancé en 2023 le stablecoin adossé à l’euro EUR CoinVertible (EURCV). En 2018 également, BNP Paribas a effectué un premier test sur la blockchain FundsDLT. Après l’émission en 2022 du premier Security Token intégrant des données ESG dans le cadre du projet AssetFoundry/EDF, le groupe a investi en 2023 dans le premier digital bond de BNP Paribas S.A. émis via la plateforme Neobonds. En 2024, BNPP AM a réalisé la première transaction à règlement T0 sur un jeton obligataire de BNP Paribas adossé à une monnaie numérique de banque centrale (wCBDC) de la Banque de France, puis investi dans la première obligation souveraine tokenisée de Slovénie avec la wCBDC de la Bundesbank. « Nous avons également testé la solution de la Banque d’Italie au sein du groupe », complète Stefan Brinaru, Head of Digital Assets chez BNP Paribas Asset Management : « Il s’agissait des toutes premières opérations en T0 ».

La feuille de route de BNP Paribas dans la tokenisation

Le programme actuel vise la tokenisation complète des fonds monétaires (Ucits MMF) de BNPP AM sur blockchain via la plateforme du groupe espagnol Allfunds, sans modification des processus règlementaires (AML/KYC) ni des systèmes de règlement. L’expérimentation montre une réduction du cycle transactionnel et une synchronisation temps réel entre registres internes et nœuds DLT. Cette trajectoire prépare l’émergence de fonds entièrement on-chain, associant parts, actifs et cash pour des règlements instantanés et une distribution automatisée.

Comme souvent, l’exemple vient d’Amérique. En mars 2024, BlackRock a lancé Buidl, un fonds monétaire tokenisé sur la blockchain Ethereum qui frôle désormais les 2,5 milliards de dollars – ce qui nourrit, sans doute, l’enthousiasme de Larry Fink. Un écosystème commence à se structurer : depuis la mi-2024, en France, des fintechs comme Spiko ou SG Forge ont tokenisé des parts de fonds monétaires en euros. Ces parts de fonds « on-chain » offrent aux investisseurs un rendement quotidien indexé sur des actifs sûrs (bons du Trésor) tout en bénéficiant de la flexibilité d’un token numérique.

Tokeniser le cash

Malgré ces avancées, on reste loin d’une transformation massive. Le marché actuel de la tokenisation financière se concentre sur quelques cas d’usage pionniers. Le plus important en volume n’est autre que la tokenisation du cash lui-même, via les stablecoins. « Si on regarde les encours aujourd’hui, le cas d’usage qui a clairement fait ses preuves, c’est celui de la tokenisation du cash », constate Antoine Michon, cofondateur de Spiko. 

Les jetons adossés à des monnaies (principalement le dollar) connaissent un succès croissant depuis 2020 : l’encours total des stablecoins avoisine désormais 280 milliards de dollars. Un montant considérable, même s’il reste modeste comparé aux masses monétaires « fiat ». Malgré l’effondrement de Terra en 2022, on voit réapparaître des stablecoins algorithmiques, où l’arrimage au dollar s’appuie sur des échanges automatiques plutôt que des réserves liquides. 

À l’inverse, les parts de fonds monétaires tokenisés restent embryonnaires : on estimait fin 2024 à moins de 10 milliards de dollars l’encours des fonds monétaires tokenisés sur blockchain publique. L’ordre de grandeur est 20 à 30 fois plus faible que celui des stablecoins.

Trump et le poids de la réglementation

Pourquoi un tel écart ? Tout d’abord, tokeniser un instrument financier réglementé (part de fonds, action ou obligation) implique de respecter la réglementation des titres : connaissance client (KYC), agréments, infrastructures agréées. « En outre, les stablecoins ne peuvent être utilisés comme actif de règlement sur le marché primaire », explique Romain Devai, Business Development Manager de la filiale Blockchain du groupe Allfunds : « La conversion en monnaie fiat est donc toujours nécessaire »

Enfin, la proposition de valeur de la tokenisation doit encore faire ses preuves : les transactions plus rapides et le fonctionnement 24/7 sont séduisants, mais suffisent-ils à justifier une refonte complète des processus ? « La résistance au changement était très forte au début », témoigne Nadia Filali, Head of Innovation & Business Development du Groupe Caisse des Dépôts, qui a créé le premier consortium français sur le sujet, Labchain, en 2015. Jusqu’à cette année, les stablecoins ont attiré surtout des investisseurs crypto en quête de rendements sur leur trésorerie numérique, et des initiés cherchant à améliorer des processus spécifiques (par exemple la distribution transfrontalière de fonds). Les investisseurs traditionnels, eux, sont restés majoritairement à l’écart, en attendant plus de clarté sur les bénéfices et le cadre juridique. Que le très cryptophile Donald Trump leur a apporté : depuis ce printemps, le monde de la finance américaine se prépare à l’entrée en masse des banques dans l’émission de stablecoins et la tokenisation du cash.

Un rapport de Citi de ce printemps, par exemple, estime que l’encours des stablecoins en 2030 devrait s’étager entre 1 900 et 4 000 milliards de dollars. Un tel bond implique un basculement massif de la finance américaine, et particulièrement des banques, dans la tokenisation. 

Monnaies numériques de banque commerciale

Jusqu’à présent, les banques ont surtout travaillé sur les dépôts tokenisés : des jetons émis par des banques réglementées, représentant des dépôts à vue convertis en actifs numériques : les deposit tokens constituent une créance sur la banque. L’idée est d’offrir les avantages des stablecoins (transferts instantanés en continu) tout en restant dans le périmètre régulé des dépôts bancaires. Sous l’impulsion de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) et de grands établissements comme Société Générale, ING, UBS et UniCredit développent des prototypes. En Suisse, le projet « Deposit Token » porté par l’Association suisse des banques, UBS, PostFinance et Sygnum, a validé la sécurité juridique et la viabilité technique pour des paiements interbancaires sur blockchain. 

JPMorgan qui avait lancé dès 2020 un JPM Coin à usage interne, l’a intégré cette année, sous le nom de Kynexis Digital Payments, à son infrastructure privée de règlements internationaux, réservée aux clients institutionnels. Cet été, la banque a lancé le pilote d’un nouveau jeton de dépôt en dollars, JPMD, sur Base, une L2 d’Ethereum. Destiné aux institutions, adossé à des dépôts bancaires et susceptible de générer des intérêts, il marque les premiers pas de la banque sur une blockchain publique.

Les lendemains qui chantent et le T+0 programmable

Au-delà de la rapidité d’exécution, la tokenisation doit apporter un changement de paradigme dans le règlement des transactions. Dans les marchés traditionnels, l’échange d’un titre contre de la monnaie (livraison contre paiement) prend typiquement deux jours ouvrés (règle du T+2 pour de nombreux actifs) afin de laisser le temps aux intermédiaires d’effectuer les contrôles et compensations nécessaires. La promesse de la blockchain est de réduire ce délai à quelques secondes, grâce à un transfert instantané et simultané entre deux portefeuilles (on parle de règlement atomique). Des projets pilotes en Europe illustrent ce gain d’efficacité : par exemple, le gestionnaire espagnol Azvalor a lancé en 2025 un fonds tokenisé dont les souscriptions et rachats sont exécutés et compensés en temps réel, dans le cadre d’un bac à sable réglementaire supervisé par le régulateur espagnol, avec le groupe Allfund et BNPP Securities Services. 

Supprimer le temps de latence entre une transaction et son règlement libérerait, selon Blackrock, des milliards de capitaux actuellement immobilisés en appels de marge et en stocks de sécurité, tout en éliminant le risque de contrepartie si l’échange se fait de manière atomique (le transfert du titre et de l’argent étant concomitants ou annulé en cas d’échec). Pour les directions financières et les trésoriers d’entreprises, cet avènement du T+0 constituerait un changement radical, permettant un pilotage plus fin de la liquidité et du risque.

Mais l’instantanéité n’est qu’une des avancées promises. L’autre atout clé est la programmabilité des transactions. En clair, la possibilité d’inscrire des conditions et des règles d’exécution directement dans les tokens ou les smart contracts, afin d’automatiser des processus entiers sans intervention humaine. « La tokenisation permet de créer des règles qui vont se déclencher sans intermédiaire  de confiance », explique Bertrand Godin, cofondateur de la fintech Fipto : ​​« Si un certain montant arrive sur un wallet, selon certaines conditions, alors un autre token est envoyé ailleurs. » 

Concrètement, un paiement en jetons peut déclencher automatiquement la livraison d’un actif tokenisé (DvP programmatique). Ou encore, un contrat intelligent peut gérer des événements de marché (paiement de coupon obligataire, exercice d’une option…) de façon autonome dès que les conditions sont réunies. Certaines fonctions complexes – par exemple le swap de change : un échange synchronisé de deux devises tokenisées entre deux parties – pourraient être exécutées par le code, là où il faut aujourd’hui coordonner plusieurs banques et plates-formes.

L’autogestion des titres financiers et la gouvernance des smart contracts

Cette programmabilité ouvre aussi la porte à des innovations financières. On peut envisager des titres autogérés, incorporant leurs propres règles de gouvernance (vote automatique des actionnaires via token, déclenchement de clauses si tel seuil est atteint, etc.). Sur le marché du prêt de titres, des smart contracts peuvent s’assurer qu’un titre prêté revienne automatiquement dans le portefeuille du prêteur à l’échéance convenue. De même, en trade finance, la livraison de marchandises et le paiement pourraient être orchestrés par des tokens interagissant entre eux une fois les documents requis fournis. Tout cela sans couture apparente pour l’utilisateur final. 

Toutefois, cette vision nécessite des standards partagés et une coordination étroite avec les régulateurs pour que la logique programmable respecte les obligations légales (par ex. empêcher le transfert d’un token à un acteur sous sanctions, ou geler un token sur décision de justice – ce qui implique d’introduire des « backdoors » contrôlées dans les smart contracts). De plus, l’automatisation ne supprime pas tous les risques : une erreur dans le code ou une faille pourrait se propager instantanément, rendant d’autant plus cruciales les phases de test et de validation avant le déploiement à grande échelle.

Et surtout, pour réaliser la vision d’un marché financier tokenisé, fonctionnant en continu, il manque une monnaie de règlement qui offre la même sécurité que la monnaie banque centrale utilisée dans les systèmes actuels. Tant que les tokens représentant des actifs alors que le cash reste “hors chaîne”, il faut des allers-retours et des interfaces complexes entre les deux univers : la blockchain pour l’actif et le système bancaire traditionnel pour le paiement.

Les banques centrales et la jambe cash des marchés tokenisés

« C’est très bien d’avoir un titre financier sous forme de jeton, mais si je n’ai rien pour le régler, comment je fais ? (...) C’est la monnaie centrale, émise par l’Eurosystème, qui peut créer la jambe cash de ces transactions de gros », rappelle à juste titre Timothée Fluteau, chef de service adjoint chargé de l’innovation pour les infrastructures de marché à la Banque de France. Autrement dit, sans équivalent numérique de la monnaie banque centrale, point de salut pour les échanges atomiques de tokens à grande échelle.

La Banque de France, pilote en la matière, a mené depuis 2020 plus d’une dizaine d’expérimentations de règlement livraison via monnaie digitale de banque centrale, dans le cadre de l’Eurosystème. Ces prototypes ont prouvé la faisabilité technique d’un token d’euro banque centrale utilisable pour régler des titres tokenisés, des actions ou même des actifs numériques de gré à gré. En juillet 2025, la BCE a annoncé le lancement d’un projet baptisé Pontes, visant à fournir une MNBC interbancaire au deuxième semestre de l’an prochain. 

La marche vers un euro numérique interbancaire

Ce dispositif permettra aux banques commerciales ayant un compte auprès de la banque centrale de disposer d’un wallet officiel contenant des jetons d’euros banque centrale. En alimentant ce portefeuille via leur compte Target2 existant, elles pourront effectuer des paiements en monnaie banque centrale tokenisée sur des registres distribués (DLT), en synchronisation avec le transfert d’un titre tokenisé – réalisant ainsi un règlement DvP 100% numérique et sans risque. Cet euro numérique interbancaire serait évidemment distinct de l’euro numérique grand public et il pourrait constituer un avantage concurrentiel important dans la guerre des monnaies qui se prépare.

L’interopérabilité entre les stablecoins et les jetons de dépôt, d’initiative privée, avec les monnaies numériques de banque centrale est en effet une question qui va mobiliser beaucoup d’énergie. La question ne se posera pas aux États-Unis, où Donald Trump a écarté toute hypothèse de dollar numérique. La Federal Reserve Bank of New York mène cependant une série de tests approfondis sur un dollar numérique de gros (wCBDC), en partenariat avec la BRI en partenariat avec la BRI notamment au sein du projet Agorá. Mais la guerre de Donald Trump contre la Fed et le dollar numérique lui laisse bien peu de possibilités de développer un véritable dollar numérique de gros (wCBDC).

En Europe, il faudra assurer la coexistence entre les différents types d’émetteurs : l’écosystème devra intégrer aussi bien des jetons émis par des acteurs privés (banques ou entreprises tech) que par des banques centrales, sans fragmentation des systèmes de paiement. Si l'Eurosystème y réussit, cependant, il donnera à la finance tokenisée européenne une solidité dont sera privée la zone dollar, certes plus puissante et plus prompte à l’innovation.

2026 en ligne de mire

Que peut-on raisonnablement attendre d’ici fin 2026 ? Les bases posées ces dernières années – encadrements réglementaires, pilotes de MNBC, premiers actifs tokenisés – laissent effectivement entrevoir une montée en puissance. 

D’ici 2026, l’Union européenne aura tiré les enseignements du régime pilote et peut-être adapté son cadre permanent pour les infrastructures de marché en DLT. Si ces ajustements clarifient définitivement la reconnaissance des titres tokenisés et des règlements en tokens, cela lèvera un frein à l’entrée pour de nombreux acteurs. On devrait voir se multiplier les émissions tokenisées par des institutions de premier plan : obligations d’État sur DLT (plusieurs banques centrales y réfléchissent), parts de fonds grand public disponibles en tokens via des néo-courtiers, voire premières actions de sociétés cotées émises sous forme numérique si la réglementation le permet (le régime pilote DLT autorise jusqu’à 6 milliards d’euros de capitalisation de marché pour tester ce cas). 

Les infrastructures de marché hybrides devraient avancer : le LSE vient d’ouvrir un segment de marché exploitant la blockchain. Côté paiement, on peut s’attendre à ce qu’au moins une grande MNBC de gros soit entrée en phase opérationnelle ou pré-opérationnelle – la BCE visant 2025 pour un prototype d’euro digital de marché, la Fed de New York menant aussi des tests sur un dollar numérique de gros. 

Chi va piano va sano

Cependant, la prudence s’impose sur le calendrier. Tout d'abord, les solutions DLT devront démontrer qu’elles supportent des volumes de transactions importants, sans panne ni goulet d’étranglement et avec une cybersécurité sans faille. Des progrès sont attendus sur la montée en charge (protocoles plus efficients, solutions de couche 2) et sur l’interopérabilité entre chaînes. Les projets comme Canton (Digital Asset) ou les avancées d’Ethereum (sharding, rollups) seront scrutés de près.

Une adoption de masse nécessitera que banques, gestionnaires d’actifs et dépositaires s’approprient la technologie. Et, avant toute chose, que les clients finaux perçoivent une valeur ajoutée. Les investisseurs institutionnels adopteront-ils massivement des fonds tokenisés si cela ne fait que dupliquer un ETF existant ? Les grandes entreprises utiliseront-elles des dépôts tokenisés en remplacement de virements classiques si le gain est marginal ?

Fin septembre, Denis Neiter, directeur financier adjoint de l’Acoss, la caisse nationale de l’Urssaf, représentait les clients finaux. Son établissement ne rechigne pas à l’innovation, au contraire : l’Acoss a été la première en Europe à émettre des social commercial papers, par exemple. Mais son verdict est clair : « 2026, c’est encore un peu tôt » pour une bascule généralisée vers la tokenisation.

L’optimisme de Larry Fink était un peu prématuré.


Il n’y aura pas de révolution monétaire

Que réserve l'avenir à la monnaie et aux systèmes de paiement ? S'il est certain qu'ils seront dotés de technologies sans précédent, il est nécessaire de les replacer dans leur contexte historique pour en avoir une vision d'ensemble.

  • Par Nouriel Roubini and Brunello Rosa.

Traditionnellement, les systèmes monétaires et de paiement reposent sur une combinaison de monnaie centrale (émise par une banque centrale) et de monnaie du secteur privé, généralement émise par les banques commerciales sous forme de dépôts à vue, de cartes de crédit, etc. Les nouveaux systèmes de paiement fintech tels qu'Alipay, WeChat, Venmo ou PayPal, qui sont toujours liés aux dépôts bancaires et aux cartes de crédit, représentent une évolution et non une révolution.

Quant au bitcoin et aux autres crypto-actifs décentralisés, aucun n'est devenu une monnaie car aucun n'est une unité de compte, un moyen de paiement évolutif, une réserve de valeur stable ou un numéraire (un étalon pour d'autres actifs similaires). Le Salvador est allé jusqu'à déclarer que le bitcoin avait cours légal, mais, au mieux, quelque 5 % des transactions de biens et de services sont réglées avec cette monnaie.

Certes, avec la création par l'administration Trump d'une réserve stratégique de bitcoins et l'augmentation du nombre d'investisseurs institutionnels qui l'ajoutent à leurs portefeuilles, certains commentateurs pensent que le bitcoin deviendra une réserve de valeur au fil du temps. Mais cela n'a pas encore été testé.

Les options de la blockchain

Quelles sont les autres possibilités offertes par les technologies de registres distribués (DLT) ? Si l'on fait abstraction des crypto-actifs, qui resteront des jetons volatils pour les activités spéculatives, trois autres options ont émergé : les monnaies numériques de banque centrale (MNBC), les stablecoins et les dépôts tokénisés.

Les craintes que les MNBC désintermédient les banques ou facilitent les retraits massifs en période de panique financière ont diminué maintenant que des limites sont susceptibles d'être imposées aux soldes des MNBC. Dans la plupart des cas, les banques centrales viseront uniquement à fournir un actif public sûr pour les portefeuilles numériques des citoyens, plutôt qu'une alternative aux systèmes de paiement du secteur privé et la plupart des MNBC ne seront pas « programmables » ou génératrices d'intérêts.

Cela signifie que les solutions du secteur privé continueront à dominer les paiements. La fintech peut offrir des options bon marché, sûres et efficaces qui ne sont pas nécessairement basées sur la DLT ; et maintenant les gouvernements offrent des rails de paiement en temps réel pour les banques et les entreprises qui facilitent un règlement bon marché et immédiat. Même dans le domaine de la DLT, la tokenisation des fonds du marché monétaire ou des « flatcoins » porteurs d'intérêts (liés à un panier d'actifs) peut favoriser l'adoption de nouvelles formes de quasi-monnaie ou de monnaie au sens large qui peuvent être converties de manière transparente en monnaie numérique fournissant des services de paiement.

Diversité

Les préférences diffèrent toutefois sensiblement d'une juridiction à l'autre. Aux États-Unis, l'opposition idéologique de l'administration Trump aux MNBC l'a amenée à favoriser les stablecoins (ce qui a suscité des mises en garde de la part de la Banque des règlements internationaux contre un retour au free banking chaotique du XIXe siècle, mais sous forme numérique). En Europe, en revanche, les inquiétudes concernant les risques liés aux stablecoins – tels qu'un nouveau cercle vicieux entre le Trésor et les émetteurs de stablecoins, et des pratiques médiocres en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et de connaissance du client – impliquent une préférence pour les MNBC et les dépôts tokenisés. En Chine, l'aversion pour la décentralisation a conduit le gouvernement à privilégier une MNBC, ainsi que des solutions de paiement fintech.

Idéalement, chacune de ces solutions coexisterait et jouerait un rôle différent au sein d'un système bien organisé de monnaies numériques. Une MNBC serait l'actif public sûr dans les portefeuilles numériques des gens, fournissant une base de confiance pour l'ensemble du système. Les stablecoins seraient alors utilisés pour les paiements nationaux de pair à pair ou internationaux, et les dépôts sous forme de jetons seraient utilisés pour les transactions interbancaires.

Pyramide numérique

Jusqu'à présent, l'une des seules juridictions qui semble avoir reconnu l'importance de la mise en œuvre de cette « pyramide » de monnaies numériques est celle des Émirats arabes unis, qui est en train de créer l'environnement le plus accueillant pour les actifs numériques au niveau mondial. Dans ce contexte, il convient de mentionner que si les nouvelles formes de monnaie numérique sont basées sur une certaine forme de DLT, la plupart fonctionnent sur des grands livres centralisés plutôt que décentralisés, et qu'elles ont tendance à être autorisées par des validateurs autorisés et de confiance, plutôt que par des transactions sans autorisation et sans confiance. En d'autres termes, ils sont plus proches des grands livres centralisés traditionnels que des véritables DLT.

Néanmoins, beaucoup de ceux qui tokenisent les actifs du monde réel semblent opter pour la DLT comme « plateforme unificatrice » préférée, les actifs numériques étant libellés dans des monnaies numériques natives. Ainsi, plutôt que de se concentrer sur la course à la domination des systèmes de paiement nationaux ou transfrontaliers, nous suggérons de surveiller la géopolitique des monnaies numériques, étant donné leur potentiel à servir d'actifs de réserve mondiaux.

Soucieuse de renforcer le rôle international du renminbi à l'échelle mondiale, en partie pour atténuer le risque de futures sanctions financières américaines, la Chine fait pression pour que sa MNBC, l'e-CNY, soit utilisée dans les transactions transfrontalières entre les pays participant à l'initiative chinoise Belt and Road (et à son projet jumeau, la Route de la Soie Numérique). Grâce à la technologie m-Bridge, initialement conçue avec la BRI, le yuan numérique pourrait être utilisé pour contourner les canaux en dollars et le système Swift lors de transactions transfrontalières. En réalité, la Chine possède déjà sa propre alternative à Swift : Cips (Cross-border Interbank Payment System).

Ces initiatives suggèrent que la zone euro pourrait être prise en étau entre un dollar toujours dominant (dont le rôle serait renforcé par l'adoption généralisée de stablecoins indexées sur le dollar) et un e-CNY en plein essor. L'Europe avance rapidement vers l'introduction d'un euro numérique, qui pourrait contribuer à construire le rôle de réserve mondiale de la monnaie unique et accorder une certaine « autonomie stratégique » à l'Union européenne.

Pouvoir régalien

Enfin, l'administration Trump encourage les stablecoins (par le biais de la récente loi Genius) afin de préserver le rôle dominant du dollar dans les paiements mondiaux et en tant que monnaie de réserve. Alors que les stablecoins basés sur le dollar redollarisent l'économie mondiale, la Chine et la zone euro reconsidèrent leur scepticisme et envisagent d'émettre leurs propres stablecoins.

L'avenir des systèmes monétaires et de paiement sera caractérisé par l'évolution, et non par une révolution cryptographique radicale. Les effets de réseau confèrent aux systèmes actuels un avantage. Plus d'une décennie et demie après le lancement du bitcoin, la principale avancée dans le domaine des crypto-monnaies est le stablecoin, qui n'est qu'une version numérique de la monnaie fiduciaire ; et même l'adoption des stablecoins sera progressive. L'argent est un bien public et une préoccupation de sécurité nationale trop important pour être laissé à des acteurs privés, anonymes et décentralisés. D'une manière ou d'une autre, elle restera du ressort de l'État.

N.R ; B. R.

Nouriel Roubini est professeur émérite à la Stern School of Business de l'université de New York ; Brunello Rosa est PDG de Rosa & Roubini.

Nouriel Roubini et Brunello Rosa ont contribué cet article àQant est membre de Project Syndicate

QANT FINANCE

Par QANT: IA et Technologies Émergentes

Les derniers articles publiés