Quand l’IA s’attaque à Wall Street

CETTE SEMAINE DANS L'IA ET LA FINANCE • Un projet secret d'OpenAI emploie des banquiers d'affaires pour entraîner ses IA • Ledger et Noah s'allient pour des stablecoins au quotidien • Dossier : l'avenir des infrastructures de marché • Interview : Mark Kepeneghian, fondateur de Lise • L'IA et la dette • Bienvenue dans Qant, jeudi 23 octobre 2025.

QANT FINANCE
17 min ⋅ 23/10/2025

« Le progrès est devant nous, à condition de dépasser sa propagande » • Paul Virilio

Bulle IA : rendez-vous le 6 novembre

La bulle IA va-t-elle exploser ? Quelles conséquences pour son développement ultérieur ? Pour en discuter, Qant et le Cercle IA et Finance vous proposent un webinaire exclusif jeudi 6 novembre à 18 heures. 

Les illustrations de Qant, cette semaine, rendent hommage à l'architecte des Lumières Étienne‑Louis Boullée (1728-1799)

Pour un peu plus de la moitié des gérants de fonds (54 %), les actifs liés à l’intelligence artificielle sont en territoire de bulle, d’après un sondage publié la semaine dernière par Bank of America (et mené du 3 au 9 octobre auprès de 166 gestionnaires, avec au total environ 400 milliards de dollars d’actifs sous gestion). Ce sondage mensuel signale aussi que l’IA est désormais considérée comme le principal risque extrême (“tail risk”), devant l’inflation et la géopolitique.

Mais l’autre moitié des gérants n’est visiblement pas d’accord : l’allocation actions est au plus haut depuis le début de l’année et les liquidités au plus bas depuis fin 2022. Même si les investisseurs reconnaissent des valorisations élevées, ils restent engagés dans le marché : un paradoxe qui pourrait indiquer un risque accru de correction si la montée de l’IA ne se concrétise pas à la hauteur des attentes.

Vol de stablecoins au-dessus de la Manche

Le wallet de la française Ledger propose une fonctionnalité inédite de conversion instantanée « Cash-to-Stablecoin », grâce à la britannique Noah, qui crée une infrastructure globale de paiement international en stablecoins.

  • Le fait nouveau : Dès aujourd’hui, 23 octobre, les utilisateurs de Ledger Wallet peuvent recevoir des virements ou paiements en euros ou dollars sur leur compte et instantanément les convertir en stablecoins. C’est la première incursion de Ledger dans le paiement, portée par l’infrastructure réglementée de Noah, qui donne principalement accès aux jetons de Circle et Paxos.

  • L’enjeu : En permettant à des millions de portefeuilles d’agir comme de véritables comptes bancaires, cette alliance rapproche un peu plus la finance traditionnelle et les actifs numériques. Si seulement 10 % des 685 milliards de dollars de transferts de fonds mondiaux passaient par ces canaux, les ménages économiseraient plus de 2,3 milliards en frais.

  • Sous le capot : L’intégration repose sur des comptes virtuels dotés d’un Iban individuel et gérés par Noah, dont la technologie KYC embarquée assure la conformité sans quitter l’application Ledger. L’expérience se veut « instantanée, fluide et conforme », selon les sociétés.

  • Point commun : Les deux start-up, qui ont levé respectivement 575 millions de dollars, pour Ledger, et 22 millions en amorçage pour Noah, possèdent un investisseur commun : Felix Capital, un VC londonien créé par le français Frédéric Court. 

  • EN FILIGRANE : Les volumes de règlements en stablecoins ont déjà dépassé 4 000 milliards de dollars au premier semestre 2025 — davantage que Visa et Mastercard réunis. Ledger, qui sécurise 27 % des stablecoins en dollars, mise sur cette bascule pour élargir son rôle au-delà de la garde d’actifs.

  • À SURVEILLER : En s’appuyant sur Noah, déjà présent dans plus de 70 pays et 50 devises, Ledger transforme son modèle de coffre-fort numérique en passerelle de paiements instantanés. Mais l’adoption réelle par les particuliers et entreprises dépendra de la faveur réglementaire, notamment en Europe.

Banque de France • BOE • Bpifrance • EBA • Euroclear • Lise • UBS •

  • Mademoiselle Lise • La fintech Lise – pour Lightning Stock Exchange – a reçu de l’ACPR (avec l’AMF, la Banque de France, l’Esma et la BCE) l’agrément pour opérer un système de négociation et de règlement sur registre distribué, sous le Régime Pilote européen (SNR‑DLT ou DLT-TSS). Lise vise des IPO et négociations 100% on‑chain pour PME/ETI à partir de 2026, avec des actionnaires de référence (Caceis, BNP Paribas, Bpifrance). L’agrément combine, dans un même périmètre, trading et post‑marché sans passer par un CSD classique : registre de titres, livraison‑contre‑paiement et règles de marché sont codés par smart contracts sous contrôle réglementaire. Objectif : réduire les frictions et coûts d’introduction et d’échange, améliorer la traçabilité et élargir l’accès au marché des capitaux des PME. Il s’agira donc d’un test grandeur nature d’un modèle intégré de marché financier tokenisé, potentiellement réplicable en Europe.

  • Le théorème du token • La Banque de France et Euroclear lancent le projet Pythagore pour tokeniser la dette court terme (NEU CP) et préparer l’interopérabilité avec l’architecture Pontes de l’Eurosystème (dont le pilote sera lancé au troisième trimestre de 2026). Pythagore s’appuie sur des chaînes permises et des liens vers Target Services, afin d’assurer la livraison‑contre‑paiement en monnaie banque centrale (wCBDC) et la compatibilité avec la future interopérabilité de Pontes. 

  • L’EBA explore Dora • L’Autorité bancaire européenne (EBA) a mis en ligne la semaine dernière plusieurs rapports et  factsheets relatifs au dispositif d’oversight Dora pour les prestataires tiers critiques et des analyses structurelles (“white‑labelling”). Dora vise la résilience opérationnelle digitale et la maîtrise des dépendances (cloud, data, outils IA). Les banques et les fintechs doivent cartographier finement leurs chaînes de valeur IA (infrastructure, modèles, données, outils de sécurité), contractualiser des clauses de résilience et prévoir des tests de continuité. Les fonctions risques/conformité devront relier MRM (IA) et exigences Dora (tests, incident reporting, registres). Les nouveaux documents précisent le calendrier, les livrables et les attentes de convergence. 

  • Le Royaume‑Uni impose un plafond sur les stablecoins • La Banque d’Angleterre imposera des limites de détention sur les stablecoins (de 10 000 à 20 000 livres pour les particuliers, plus pour les entreprises), qui ne seront retirées qu’une fois le risque de fuite de dépôts bancaires maîtrisé. Le régulateur craint qu’une adoption rapide n’assèche les dépôts et freine le crédit, si les banques doivent se refinancer massivement auprès des non‑banques. Le cadre prévoit aussi une résolution des émetteurs systémiques et un partage des compétences des régulateurs. Ce message de prudence macroprudentielle contraindra les acteurs de paiement et émetteurs de stablecoins à planifier l’adoption graduelle. Il pourrait influencer les débats européens sur les stablecoins dans les paiements, et même sur l’euro numérique. 

  • Des Français sur la Baie • Le 15 octobre, Bpifrance a accompagné dix fintechs et intégrateurs français à Dreamforce 2025, l’événement de Salesforce consacré aux agents d’IA. La banque publique d’investissement mise sur l’industrialisation d’usages concrets : agents conversationnels en relation client (générative), extraction automatique de documents (LLM), scoring prédictif (ML) et automatisation de processus (KYC, service).

  • Un Caio chez UBS • La principale banque helvétique UBS vient de recruter Daniele Magazzeni (ex‑JPMorgan, ex‑King’s College London) comme Chief Artificial Intelligence Officer (Caio). Basé à Londres à compter de janvier, il sera rattaché au COO & CTO. La banque renforce ainsi son programme “Big Rocks” pour industrialiser les cas d’usage IA : automatisation intelligente, assistants génératifs/agents, productivité des fonctions et amélioration de l’expérience client. On s’attend depuis 2023 que la fonction de Caio devient une brique de gouvernance centrale (éthique, risques, data) et un catalyseur d’adoption (usage interne et front‑office).

OpenAI s’entraîne à la banque d’affaires

Sous le nom de code de Mercury, OpenAI entraîne une IA pour reproduire le travail des jeunes banquiers d’affaires : construire des modèles financiers, réviser des slides et exécuter les “please fix” de leurs supérieurs.

  • Le fait nouveau • Plus de cent anciens banquiers issus de JPMorgan, Morgan Stanley ou Goldman Sachs participent au programme Mercury d’OpenAI, selon Bloomberg. Payés 150 dollars de l’heure, ils livrent chaque semaine un modèle complet — IPO, LBO ou restructuration — conforme aux standards du métier. Chaque fichier est revu, corrigé, puis intégré aux systèmes d’entraînement d’OpenAI pour intégrer la rigueur et la discipline Excel des analystes.

  • En coulisses • Le processus de recrutement est lui-même automatisé : entretien conduit par un chatbot, test d’états financiers, puis épreuve de modélisation. Les participants, engagés par des prestataires tiers, travaillent à distance. Cette structure discrète permet à OpenAI d’industrialiser la collecte de données sans gonfler ses effectifs.

  • L’enjeu : Automatiser les tâches des juniors promet des gains de productivité majeurs — les analystes dépassent souvent les 80 heures hebdomadaires entre Excel et PowerPoint — mais risque aussi d’assécher le vivier de formation des futurs cadres. 

  • EN FILIGRANE : Un engouement croissant. JPMorgan Chase vient de présenter un plan ambitieux pour devenir la première « mégabanque » entièrement pilotée par l’IA. Elle met à disposition de ses 250 000 salariés une plateforme interne, « LLM Suite », qui intègre des modèles de l’IA de OpenAI et Anthropic. Elle vise surtout à doter d’un assistant IA personnalisé le personnel, mais aussi à automatiser certains processus. Dès mars 2023, Morgan Stanley a déployé une solution développée avec OpenAI dans sa division de gestion de patrimoine : les conseillers se servent d’un assistant interne basé sur GPT-4 pour interroger la vaste base de recherche de la banque et obtenir des synthèses d’insights.  

  • À SURVEILLER : Une incitation forte. Comme pour toute IA générative, la capacité de Mercury à dépasser le prototypage pour produire des modèles exploitables sans supervision humaine est incertaine. Dans un secteur soumis à des contraintes réglementaires fortes, les risques d’hallucinations ou d’erreurs de calcul imposeront longtemps une supervision humaine. Mercury devra prouver qu’il peut générer des gains mesurables sans compromettre la traçabilité ni la conformité

Ant • Bridge • Cloudflare • Erebor Bank • Ethereum • First Internet Bank • JD • MAS • Mastercard • Paxos • Paypal • RBI • Stripe • Visa

  • D’inquiétants jetons de trop • Paxos Trust, émetteur du stablecoin PYUSD pour PayPal, vient de reconnaître qu’un « incident technique interne » sur Ethereum le 15 octobre a conduit à la frappe par erreur de 300 000 milliards de tokens PYUSD lors d’un transfert interne, immédiatement suivie de leur destruction. Paxos précise qu’il n’y a pas eu de brèche de sécurité et que les fonds clients sont sûrs, l’excédent ayant été brûlé dès l’identification de l’erreur. À court terme, les intégrations DeFi devraient renforcer les coupe‑circuits et les politiques de gel automatique pour isoler de tels incidents. Mais côté régulateurs, l’incident devrait accélérer l’exigence de contrôles de changement, signatures multiples et journaux d’audit plus stricts pour les émetteurs de stablecoins.

  • Quand l’IA prête aux PME • La First Internet Bank va déployer un système de « Loan Intelligence System » (LIS) à architecture IA-native sur ses activités de prêt aux PME, garanties par la U.S. Small Business Administration (SBA). Développé avec la fintech Parlay Finance, le système LIS entend automatiser l’examen d’entrée (onboarding) des clients, la collecte et la validation de documents (états financiers, déclarations fiscales, documents de constitution), le pré-scoring et l’analyse à l’aide de modèles d’apprentissage automatique et de composants de type LLM, afin de fluidifier les dossiers et d’accroître la vitesse de décision tout en maintenant l’expertise de la banque. Sur un segment très procédurier, la banque anticipe jusqu’à +50 % d’amélioration d’efficacité sans accroissement d’effectif. 

  • Les agents d’IA passent à la caisse • Visa vient de présenter « Trusted Agent Protocol », un cadre technique pour l’« agentic commerce », conçu avec Cloudflare afin d’authentifier des agents d’achat légitimes, partager du contexte de transaction et filtrer les bots malveillants. Le protocole, présenté en partenariat avec Microsoft et Shopify, s’inscrit dans la plateforme Visa Intelligent Commerce. En réponse, Mastercard a précisé son approche : lancement de « Merchant Cloud » (optimisation d’autorisations via POP et services d’acceptation intégrés) et publication d’un « Agent Pay Acceptance Framework » fondé sur l’enregistrement/attestation d’agents et des « agentic tokens » cryptographiques, pour tracer et authentifier chaque opération. Ces annonces s’inscrivent dans la préparation de Money20/20 USA, prévu du 26 au 29 octobre à Las Vegas. 

  • Les tokens de Tolkien • L’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) a accordé une approbation conditionnelle à Erebor Bank, créée sous l’égide de Peter Thiel (Palantir) et Palmier Luckey (Anduril). Elle a pour ambition de combler le vide laissé par la Silicon Valley Bank, qui s’est effondrée en 2023, avec un modèle exclusivement numérique, qui combine les services bancaires traditionnels (dépôts, paiements, prêts) avec des innovations liées aux actifs numériques, comme les stablecoins et les infrastructures de paiement blockchain. Par ailleurs, Bridge, la filiale stablecoins de Stripe a déposé une demande afin de pouvoir émettre, garder et gérer des réserves pour des stablecoins, dans le cadre de la loi fédérale sur les stablecoins (Genius Act).  Au moins ne fait-elle pas référence aux livres de J.R.R. Tolkien.

  • Stablecoins : Pékin met le holà • Après instruction de leurs dossiers, la Chine vient d’ordonner à de grands groupes technologiques-financiers, notamment Ant Group et JD.com, de geler leurs projets d’émission de stablecoins à Hong Kong. Ces groupes avaient annoncé leur intention de participer au pilote de la nouvelle réglementation hong-kongaise, entrée en vigueur le 1er août 2025. Le motif officiel : éviter que des jetons émis par des entreprises privées ne concurrencent le monopole monétaire de l’État et ne perturbent la trajectoire du e‑CNY. Pékin soutient l’innovation « on-chain » seulement si elle renforce l’ordre monétaire public, non si elle émerge comme alternative privée susceptible de concurrencer l’hégémonie de l’État. Reste à voir si, le moment venu, Washington acceptera vraiment ces monnaies privées. 

  • L’Orchidée fleurit à Singapour • La Monetary Authority of Singapore (MAS) vient de lancer, l’initiative  Bloom (Fleurir en anglais, mais aussi l'acronyme de Borderless, Liquid, Open, Online, Multi‑currency) afin d’étendre les capacités de règlement en passifs bancaires « tokenisés » (dépôts, liquidités bancaires numériques) et en stablecoins régulés. L’initiative s’appuie sur les travaux antérieurs de Project Orchid (lancée en 2021), qui a mené une dizaine d’expérimentations sur la monnaie digitale de banque centrale et l’infrastructure associée. Bloom vise à répondre aux besoins des acteurs B2B (gestion de trésorerie d’entreprises, trade finance, paiements inter‑réseaux) en Asie et parmi les devises du G10. Les trois grands chantiers initiaux sont : la distribution et le clearing d’actifs de règlement tokenisés (réseaux disparates interopérés) ; le déploiement de contrôles programmables et standardisés de conformité (AML/KYC, risques) ; l’intégration de paiements « agentiques » via l’IA (agents autonomes exécutant des transactions) dans l’écosystème de règlements. Les grandes banques asiatiques, les fintechs et les réseaux de paiement peuvent ainsi, désormais, expérimenter la tokenisation des passifs bancaires ou des stablecoins sous gouvernance prudentielle, avec l’objectif d’accélérer les flux transfrontaliers et d’améliorer l’efficacité des infrastructures de règlement.

  • L’IA combat la fraude en Inde • La Reserve Bank of India (RBI) vient de lancer le projet de plateforme Digital Payment Intelligence Platform (DPIP), une infrastructure de paiement digitale (DPI) fondée sur l’IA et le partage en temps réel d’informations. La DPIP agrègera des données transactionnelles, des signaux de fraude (modèles d’anomalie, reconnaissance de patterns) entre prestataires de services de paiement, afin de détecter et prévenir les fraudes sur les paiements numériques en temps réel, notamment sur les réseaux tels que Unified Payments Interface (UPI) et les wallets. Cette initiative s’inscrit en réaction à la forte montée des fraudes, qui ont triplé depuis 2024. Les établissements bancaires devront renforcer leur gouvernance du risque de fraude (MRM), aligner leurs processus de partage de données et leurs réponses aux incidents sur ce cadre mutualisé et la coopération entre prestataires de services de paiement (PSP) devrait être accrue, à l’image des dispositifs européens de lutte contre la fraude sur Sepa.


EN EXCLUSIVITÉ POUR LES ABONNÉS :

• DOSSIER • Dans les coulisses de la Bourse, le post-marché • Avec son nouvel agrément, Lise créera en France une Bourse 100 % blockchain où marché et règlement-livraison se confondent. Une première européenne qui illustre concrètement la tokenisation du post-marché.

• DOSSIER • Dans les coulisses de la Bourse, le post-marché • Avec son nouvel agrément, Lise créera en France une Bourse 100 % blockchain où marché et règlement-livraison se confondent. Une première européenne qui illustre concrètement la tokenisation du post-marché.

EXPERT L’IA et l’économie mondiale : la mise en garde de Kenneth Rogoff • L’IA promet des gains de productivité massifs, mais aussi un basculement durable du travail vers le capital. Non seulement la technologie ne suffira pas à combler le déficit des États riches, mais elle aggravera les tensions sociales et internationales.

Le post-marché désigne l’ensemble des opérations effectuées une fois qu’une transaction financière est exécutée sur une Bourse. Il inclut par exemple la confirmation des transactions, la compensation, le règlement-livraison – c’est-à-dire l’échange définitif des titres contre le paiement –, la conservation des actifs et les opérations sur titres (dividendes, intérêts, etc.). Le règlement-livraison constitue un moment critique où l’acheteur reçoit les titres et le vendeur les espèces de façon irrévocable. Aujourd’hui, ce secteur vital est en profonde mutation sous l’effet de plusieurs transformations structurelles, que le rapport The Future of Post-Trade, que vient de publier Citi GPS, examine en détail.

Retard relatif de l’IA…

L’automatisation des processus n’est pas nouvelle, mais l’adoption de l’IA générative dans les fonctions post-marché en est encore à ses débuts : seuls environ un quart des acteurs interrogés par l’observatoire de Citi déclarent avoir des projets d’IA générative déployés en production dans leurs opérations post-marché. Ce taux est bien inférieur à l’adoption de l’IA au niveau de l’entreprise dans son ensemble, où plus de la moitié des organisations utilisent déjà l’IA dans d’autres fonctions. Ce retard relatif suggère un important gisement d’opportunités pour le secteur, à mesure que les technologies mûrissent et que les cas d’usage se précisent.

Les cas d’usage potentiels de l’IA dans le post-marché sont variés. On peut citer par exemple la génération automatisée d’analyses clients personnalisées (reporting intelligent), l’aide à l’octroi de crédit intrajournalier ou de facilités de trésorerie en anticipant les besoins, l’analyse prédictive des défaillances de règlement pour prévenir les incidents, ou encore l’optimisation des processus de rapprochement et de contrôle des transactions. 

L’IA peut également contribuer à réduire les coûts opérationnels, en automatisant le traitement d’événements complexes comme les actions sur titres (dividendes, splits, etc.), qui restent souvent le maillon le plus manuel et le plus risqué de la chaîne post-marché. Pour l’instant, beaucoup de projets en sont au stade pilote, mais les acteurs financiers prévoient d’intensifier leurs investissements pour passer de solutions ponctuelles à une intégration plus profonde de l’IA dans les systèmes post-marché, afin d’améliorer à la fois l’efficience (traitements plus rapides, moins d’erreurs) et l’expérience client (suivi proactif, informations en temps réel). 

…Accélération du règlement-livraison

En revanche, l’accélération des cycles de règlement-livraison des transactions est devenue une tendance de fond. De nombreux marchés réduisent leurs délais de règlement pour passer de J+2 à J+1 (soit un règlement le lendemain de l’exécution). En 2024, les États-Unis sont ainsi passés à T+1, rejoignant d’autres places comme la Chine. Désormais, environ 40 % du volume mondial de transactions sur titres est traité en T+1 ou plus rapide, et d’autres grands marchés (Europe, Royaume-Uni, Brésil…) prévoient de raccourcir leurs cycles dans les prochaines années. Plus de 40 % des professionnels interrogés par l’observatoire de CitiGroup citent d’ailleurs l’accélération du règlement comme le principal facteur de changement du post-marché. L’objectif à terme est d’aller vers un fonctionnement quasi temps réel et potentiellement 24h/24 et 7j/7, abolissant le découpage actuel en journées de règlement.

Cette évolution apporte des bénéfices en termes de risque (les contreparties sont exposées moins longtemps) et de liquidité, plus rapidement disponible. Des modèles émergents exploitant les blockchains – par exemple le on-chain hourly netting (compensation à chaque heure, sur un registre distribué) – laissent entrevoir la possibilité de règlements quasiment continus (T0), avec une visibilité 24/7 sur la liquidité, un règlement accéléré et une transparence accrue, tout en préservant les garde-fous de gestion des risques. 

Consolidation des intermédiaires

Toutefois, le passage à un post-marché en continu pose des problèmes opérationnels importants : il faut parvenir à équilibrer la vitesse d’exécution avec la sécurité des actifs, la stabilité financière et la conformité réglementaire. En outre, la compression des cycles prive certains intermédiaires (courtiers, dépositaires…) des revenus que leur offrent les délais plus longs : intérêts sur les règlements en attente, arbitrages liés aux décalages horaires, etc. 

À mesure que les délais se raccourcissent et que la transparence augmente, ces marges se réduisent drastiquement. Cela exerce une pression sur la rentabilité et rend la taille plus déterminante que jamais. On observe ainsi une consolidation du secteur et la croissance des plus grands dépositaires globaux, tandis que les acteurs dépourvus d’échelle ou de technologie flexible éprouvent des difficultés dans ce nouvel environnement.

Actifs numériques et nouveaux modèles

La deuxième grande transformation du post-marché provient de l’essor des actifs numériques et des technologies de registres distribués (DLT, pour Distributed Ledger Technology). Dans l’enquête de Citi, 82 % des répondants estiment que la blockchain et les actifs numériques vont potentiellement transformer la structure du marché financier dans les années à venir (ils étaient 72 % à le penser un an plus tôt). 

Les avantages attendus sont multiples : amélioration de la liquidité des actifs, meilleure mobilité du collatéral (capacités de réutilisation des garanties) et diminution des coûts de traitement post-marché. La tokenisation et les innovations liées aux crypto-actifs devraient fluidifier les échanges et rendre le règlement-livraison plus efficace, tout en réduisant certains coûts et frictions hérités des systèmes traditionnels.

Cryptos institutionnelles et tokenisation

Les actifs numériques passent progressivement du stade expérimental à une véritable adoption institutionnelle. La capitalisation totale des cryptoactifs approche des 4 000 milliards de dollars, et la liquidité « on-chain » institutionnelle pourrait elle aussi se chiffrer en billions d’ici 2030, estime Citi GPS. De grands investisseurs institutionnels envisagent d’augmenter l’allocation de leurs portefeuilles en actifs numériques jusqu’à 5 % dès 2025. 

Un concept clé de cette révolution est la tokenisation : le fait de convertir des droits de propriété inscrits dans des comptes centralisés en jetons numériques gérés sur une blockchain décentralisée. 

Des obligations, actions ou parts de fonds peuvent être émises sous forme de tokens enregistrés sur un registre distribué au lieu de titres classiques sur un compte chez un dépositaire central. Des moyens de paiement natifs compatibles (monnaies numériques de banque centrale, stablecoins, etc.) apparaissent, qui permettront de procéder au règlement-livraison en token natif et en temps réel sur ces nouvelles plateformes.

Face à l’essor des actifs numériques, les dépositaires adaptent leur offre : ils investissent dans la garde de crypto-actifs, le développement de réseaux DLT privés, et nouent des partenariats avec des fintech et acteurs crypto afin de proposer à leurs clients l’accès à ces nouvelles classes d’actifs. En parallèle, des fintechs spécialisées créent des services de post-marché « cloud-native » exploitant nativement la blockchain et l’IA, sans le poids des systèmes hérités. 

Chefs d’orchestre

À terme, la configuration du secteur pourrait évoluer vers un modèle d’orchestration: les dépositaires globaux, au-delà de leur rôle traditionnel de garde, agiraient comme intégrateurs de multiples réseaux et actifs pour le compte de leurs clients. Pour que cette plateformisation tienne ses promesses, des facteurs comme l’interopérabilité entre systèmes, l’harmonisation des règles et la gouvernance des nouvelles infrastructures seront décisifs. Le succès de ces nouveaux modèles suppose que les différents maillons (plateformes DLT, systèmes hérités, dépositaires centraux, etc.) puissent communiquer de manière fluide, à travers des standards communs et un cadre réglementaire aligné à l’international, sans quoi le risque est de fragmenter le marché.

Les transformations du post-marché s’accompagnent en effet de défis accrus en matière de gouvernance, de réglementation et de sécurité. La transition vers des infrastructures partagées et décentralisées exigera de repenser la gouvernance du système post-transactionnel.


Mark Kepeneghian (Lise) : « La tokenisation du post-marché, c’est un outil macroéconomique pour relancer la croissance»

Après avoir obtenu la semaine dernière le premier agrément français du régime pilote DLT, Lise combine, au sein d’une même infrastructure boursière, les fonctions de marché et de règlement-livraison sur blockchain. Son fondateur, Mark Kepeneghian, illustre ce que la « tokenisation du post-marché » peut changer concrètement pour les émetteurs, PME ou ETI, les investisseurs et les régulateurs.

Mark Kepeneghian, cofondateur et CEO de Lise

Qant. Après un long gymkhana réglementaire, vous venez d’obtenir le premier agrément SNR DLT du Régime Pilote, un règlement européen sur les nouvelles infrastructures pour les marchés financiers. En deux mots, qu’est-ce que cela vous permet de faire ?

Mark Kepeneghian — C’est un statut européen qui nous autorise à opérer à la fois un système multilatéral de négociation – une Bourse – et un dépositaire central (CSD, mais sur un registre distribué (DLT) et donc une blockchain. Concrètement, Lise est une infrastructure de marché unifiée : émission, négociation et règlement-livraison des titres, avec la même valeur juridique que sur une place traditionnelle. L’innovation-clé, c’est d’intégrer le post-marché dans l’infrastructure elle-même : nous créons une véritable Bourse européenne tokenisée.

Qant. C’est-à-dire ?

M.K. — Aujourd’hui, sur un marché financier, un ordre passe par des intermédiaires en chaîne : broker, marché, chambre de compensation (CCP), systèmes de paiement (Swift, Target2/T2S), dépositaires (CSD) et le règlement-livraison prend deux jours (T+2). Chez Lise, exécution et règlement sont intégrés et s’effectuent instantanément (T0). Résultat : moins d’échecs de règlement, moins de risques opérationnels, et un marché ouvert 24 h/24, 7 j/7 sur l’action — un véritable post-marché « tokenisé ».  La tenue de registre est automatisée, ainsi que les opérations sur titres (OST : convocations, votes, dividendes, calendrier des splits et regroupements d’actions, augmentations de capital, offres publiques, fusions / scissions, rachat d’actions…). Et pour la première fois, nous pouvons réellement proposer à l’émetteur une information précise et exhaustive sur l’identité de ses actionnaires, grâce à un droit des titres adapté (porteur administré).

Qant. La désintermédiation du post-marché diminue-t-elle vraiment les coûts ?

M.K. — Oui, le fonctionnement unifié permet d’abaisser considérablement les coûts récurrents de cotation. Là où une PME additionne facilement 150 000 à 250 000 euros par an auprès de multiples prestataires pour maintenir sa cotation, nous ne dépasserons pas 30 000 euros, tout compris. En moyenne, nous devrions être presque dix fois moins chers en frais de listing annuels.

Qant. Mais la liquidité ne se décrète pas. Qui viendra investir sur Lise ? 

M.K. — L’encours du PEA-PME frôle les 3 milliards d’euros sur 300 000 comptes (2,9 Md€ sur 291 000 comptes, précisément), en croissance de 10 % par an. Mais il se heurte à une sorte de plafond : pour un particulier, il est très compliqué d’utiliser le PEA-PME, notamment pour investir dans des entreprises traditionnellement non cotées. Nous leur proposons de s’exposer à un nouveau profil d’entreprises : des PME-ETI en marge des marchés existants, mais pourtant rentables et solides. Quand nous aurons quelques dizaines d’émetteurs, alors des fonds,  des indices et ETF pourront suivre. L’enjeu n’est pas de « décréter » la liquidité, mais de fournir un actif coté, lisible et négociable à des investisseurs qui, aujourd’hui, bricolent via le non coté.

Qant. Quel impact sur l’économie réelle ?

M.K. — Les PME industrielles rentables mais pas en hypercroissance – souvent hors du radar des fonds – ont besoin de fonds propres pour franchir le cap afin de devenir des ETI. Pour ce faire, la Bourse est le meilleur levier quand elle est accessible, efficiente et continue. Si l’épargne peut se diriger vers un marché coté T0/24-7 à coûts maîtrisés, alors la tokenisation du post-marché n’est pas un gadget : c’est un outil macroéconomique qui peut appuyer la croissance.

Qant. Face à Euronext Access ou Growth, où vous situez-vous ?

M.K. — Access propose surtout du direct listing : on cote sans levée de capitaux. Nos voisins naturels seraient plutôt les small caps de Growth, mais, dans les faits, nous adressons des entreprises plus petites (levées de 3 à 12 M€, capitalisations ~10 à 70/100 M€), qui s’appuient en général sur des financements non dilutifs ou, pour celle qui ont une croissance rapide, sur le private equity

Qant. Votre régime d’agrément est dit « pilote ». Qu’est-ce que cela implique aujourd’hui ?

M.K. — Le DLT Pilot Regime a introduit des seuils (par émetteur et au niveau de la plateforme) et une logique d’expérimentation. À ce stade, pas d’IPO au-delà de 500 millions d’euros de capitalisation et des plafonds de « flottant agrégé » (6 milliards d’euros puis 9 Md€). Dans notre cas, cela ne nous freine pas : nous nous adressons à PME-ETI, bien en-deçà de ces plafonds. Et la Commission européenne est déjà en train de prévoir la suite.

Qant. Outre le fait qu’elle est française, quelle différence entre Lise, votre start-up, avec 21X (Allemagne) ou Axiology (Lituanie), également autorisées sous le régime pilote ?

M.K. — Le périmètre produit : 21X  et Axiology  se sont concentrées sur le marché obligataire. Lise, elle, cote des actions, ce qui implique tout le droit des sociétés et des exigences propres à la cotation. Une IPO, c’est autre chose : il faut gérer l’appel public à l’épargne, le prospectus ou document d’information, la place de marché, le marché secondaire, etc.  Ce n’est pas le même degré de complexité opérationnelle ni la même surveillance.  Pour l’agrément, nous avons été examinés par cinq autorités : l’AMF, l’ACPR, la Banque de France, l’ESMA et la BCE. Et nous avons créé une société spécifique, Lise, une SA à qui sa maison-mère, Kriptown, fournit la technologie.

Qant. Quelle est cette technologie ?

M.K. — Il s’agit d’une blockchain permissionnée basée sur un fork d’Hyperledger Besu (PoA Ethereum). Notre objectif n’est pas un “smart-contracting” tous azimuts, mais une infrastructure de marché fiable pour la tenue de registre et le règlement-livraison.  Nous avons testé plusieurs options depuis 2018 avec Kriptown. Besu répond le mieux à nos contraintes de bloc-time, de robustesse, de scalabilité et de conformité. Hyperledger Besu est un client Ethereum open-source, développé sous l’égide de la Linux Foundation. Il peut fonctionner aussi bien sur le mainnet Ethereum (public) que sur des réseaux privés ou de consortium. Dans ces environnements contrôlés, la preuve d’autorité (PoA) remplace les mécanismes plus ouverts comme la Proof of Work (PoW) ou la Proof of Stake (PoS), car il n’est pas nécessaire de mobiliser de la puissance de calcul ni de miser des jetons : la confiance repose sur l’identité vérifiée des validateurs. Les blocs sont validés lorsqu’au moins deux tiers des validateurs signent la proposition. Cela répond parfaitement aux besoins de sécurité et d’efficacité d’une bourse régulée telle que Lise.

Propos recueillis le 17 octobre 2025 et édités pour la clarté et la longueur.


L'IA ne permettra pas à l'Occident de rembourser ses dettes

La transformation induite par l’IA entraînera presque certainement une augmentation significative de la part du capital dans la production et une diminution correspondante de la part du travail. Il serait donc imprudent de croire que les pays riches peuvent compter sur cette technologie pour augmenter leurs recettes fiscales et effacer leurs dettes.

  • Par Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international, eaujourd’hui professeur d'économie et de politique publique à l'université Harvard.

L’IA transforme incontestablement l’économie mondiale à une vitesse sans précédent. Sauvera-t-elle pour autant les pays riches de l’intensification des pressions liées à la dette, notamment à l’heure où le vieillissement rapide de la population exerce une contrainte croissante sur la solidarité sociale ? Dans l’affirmative, ces pays peuvent-ils se permettre de creuser des déficits encore plus importants, et continuer d’emprunter en partant du principe que les générations futures, qui deviendront riches grâce à l’IA, seront en capacité de rembourser ces dettes ?

Personne ne devrait miser sur cette hypothèse. 

Exubérance irrationnelle

Certes, une évaluation extrêmement optimiste de l’impact potentiel de l’IA sur la croissance économique propulse depuis quelques années les marchés d’actifs à la hausse. Cela vaut particulièrement pour les marchés boursiers, euphoriques, qui continuent de s’envoler malgré la paralysie politique en France, l’exode de talents hautement qualifiés hors du Royaume-Uni, la suspension des services de l’État fédéral américain, ainsi qu’une attaque en règle contre l’indépendance de la banque centrale aux États-Unis. 

Bien que je considère depuis de nombreuses années que l’IA finira par résoudre le problème de la croissance anémique des économies développées, je mets également en garde sur les possibles obstacles susceptibles de ralentir le rythme de cette transformation.  Il convient de tenir compte de nombreux facteurs structurels, juridiques, économiques et sociaux, notamment l’approvisionnement en électricité, les droits de propriété intellectuelle, le manque de travailleurs qualifiés dans le domaine de l’IA, ainsi que la nécessité d’établir un cadre global régissant la manière dont les chatbots communiquent et échangent des informations, prévoyant une forme de mécanisme de prix. 

Réguler la publicité IA

Les entreprises d’IA investissent des montants considérables dans la course à la domination du marché (lorsque l’État les y autorise), semblant prêtes à se ruiner pour gagner des utilisateurs et obtenir des données. Seulement voilà, un jour ou l’autre, et probablement dans un avenir proche, ces entreprises seront contraintes de développer des sources de revenus, certainement par le biais de la publicité, comme l’ont fait avant elles les médias sociaux. 

Pour l’heure, l’administration du président américain Donald Trump affiche clairement sa volonté d’avancer tambour battant en matière d’IA, sans régulation. Les questions épineuses concernant la manière dont la morale est codée dans ces modèles sont actuellement du ressort d’un petit nombre de développeurs. Mais elles seront en fin de compte tranchées par le Congrès et les tribunaux américains, ainsi que par les autorités d’autres pays. 

Contenir la révolte

La révolte viendra toutefois probablement des centaines de millions de cols blancs déplacés, qui sont voués à devenir la prochaine grande cause politique, comme le sont aujourd’hui les travailleurs du secteur manufacturier, et comme le furent ceux du secteur agricole dans les années 1960 et 1970. 

Quiconque travaille aujourd’hui avec un ordinateur est vulnérable à l’automatisation. Il est profondément irréaliste de penser qu’une poignée d'entreprises parviendra à remplacer une grande partie de la main-d’œuvre sans que survienne une révolte politique majeure. À moins d’un spectaculaire revirement autoritaire, des troubles sociaux seront inévitables. Cela renforcera la position des Zohran Mamdani de ce monde (ce jeune socialiste de 33 ans, favori à l’approche des élections municipales de New York en novembre), d’autant plus que l’IA semble particulièrement conduire à la disparition des emplois des jeunes travailleurs. 

Course aux armements

Autre vérité problématique, bon nombre des applications d’IA de pointe concernent le domaine militaire, ce qui pourrait provoquer une course massive aux armements, voire à la multiplication de guerres menées au moyen de drones armés et autres systèmes de combat fondés sur l’IA. Les fractures et les conflits géopolitiques sont préjudiciables à la croissance à long terme, et tout aussi susceptibles de conduire à une réduction des recettes fiscales qu’à leur accroissement. Il n’est pas non plus impossible que l’IA renforce de petits États ou des groupes terroristes, en leur donnant accès en un clic à des physiciens et des biologistes de premier plan. 

Enfin, ce n’est pas parce que l’incorrigible climatosceptique Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche que les menaces soulevées par le réchauffement planétaire ont disparu. Les coûts d’un changement climatique hors de contrôle sont voués à grimper en flèche au cours des prochaines décennies – à moins que nos géants de l’IA ne parviennent à résoudre le problème (en concluant probablement à une solution impliquant une réduction considérable de la population mondiale). 

Dette et croissance

L’idée selon laquelle, après une longue et douloureuse transition, l’arrivée de l’intelligence artificielle générale résoudra tous les problèmes n’est pas raisonnable. Même si l’IA générale stimule la croissance, elle conduira très certainement à une augmentation substantielle de la part du capital dans la production, et par conséquent à une diminution équivalente de la part du travail. Si le marché boursier est actuellement en plein essor, c’est en effet précisément parce que les entreprises s’attendent à voir les coûts de main-d’œuvre chuter. Dans ces conditions, on ne peut pas considérer que les anticipations élevées concernant les bénéfices, qui sous-tendent aujourd’hui l’explosion du cours des actions, se traduiront nécessairement par une croissance globale. 

Cela nous ramène à la dette publique. Rien ne permet de présumer que la croissance alimentée par l’IA conduira à un accroissement équivalent des recettes fiscales de l’État, même si cette hypothèse a pu se révéler valable par le passé. Le capital est en effet beaucoup plus difficile à taxer que le travail, notamment parce qu’il est souvent plus concentré, parce qu’il revêt une puissance sur le plan politique, et parce qu’il circule librement à travers les frontières. 

De plus hautes barrières douanières pourraient certes prévenir cette fuite des capitaux, mais cette stratégie se révélerait en fin de compte perdante. Il serait très imprudent de considérer que les économies développées pourront compter sur l’IA pour résoudre des problèmes budgétaires que les politiciens humains ne parviennent toujours pas à résoudre.

K.R.

Kenneth Rogoff a contribué cet article àQant est membre de Project Syndicate

QANT FINANCE

Par QANT: IA et Technologies Émergentes

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